Face à l’annonce des grandes catastrophes environnementales & des perspectives d’effondrement des civilisations engendrées par les bouleversements climatiques & leurs conséquences, se dessine obscurément un futur pessimiste et morne. L’image de ce futur semble s’offrir inéluctablement à nous, résonnant comme une condamnation universelle, se nourrissant chaque jour des discours véhiculés dans les médias de masse ou par les rhétoriques politiques. Plus nous essayons de comprendre le problème et plus la fatalité s’empare de nous, comme pris impitoyablement dans des sables mouvants. Face à l’ampleur du sujet, tant nos vies paraissent infinitésimales dans ce grand maelstrom, l’évidence de la catastrophe est proportionnée à celle de notre impuissance.
Comment alors poursuivre ou engager les changements nécessaires, inhérents aux transitions & indispensables à notre survie ? Comment imaginer même qu’il puisse en être autrement, que nous ayons encore des possibles à mobiliser, et lesquels ? Que ce futur, dont nous dessinons collectivement les contours, soit celui auquel nous adhérons et que nous désirons véritablement ?
En parallèle de l’action et des alliances, les récits occupent une place de choix pour construire ce futur désirable. Dans le but de questionner ce sujet, je vous propose dans ce premier article de revenir sur la notion de “récit” et d’interroger spécifiquement la contribution des métiers des médias & de la communication. La lecture se poursuivra dans un second article au sein duquel je présenterai une sélection de récits d’émancipation positivement inspirants et nourrissants.
Je précise m’inscrire ici dans une recherche personnelle de radicalité (en tant que ce qui est “relatif à la racine, à l’essence de quelque chose”) visant à re-questionner les “fausses évidences” (comme dirait Roland Barthes), à déconstruire les idées que nous véhiculons consciemment ou non, et à interroger le pouvoir-social du récit.
— Les récits sont des langages
Commençons par tracer les contours du sujet, afin d’éviter les principaux écueils et de mettre en évidence les pistes dont pourront s’emparer notamment les métiers de la communication.
Quelques définitions
💠 Récits
En littérature, le récit est une “œuvre littéraire narrant des faits vrais ou imaginaires” (CNRTL ↗ ). Selon le sémioticien Umberto Eco, il répond d’un pacte fictionnel entre l’auteur·rice et le·la lecteur·rice : “Le lecteur doit savoir qu’un récit est une histoire imaginaire, sans penser pour autant que l’auteur dit des mensonges. Simplement, (…) l’auteur feint de faire une affirmation vraie. Nous acceptons le pacte fictionnel et nous feignons de penser que ce qu’il nous raconte est réellement arrivé.” Toujours dans cette approche textuelle & médiatique, il existe de multiples définitions du “récit” (Cf. Définition du récit selon Paul Ricœur ↗ ). Il peut ainsi être entendu à la fois comme l’histoire écrite ou racontée en elle-même (comment est-elle dépeinte, quels outils de style sont utilisés, quelle énonciation est mise en œuvre…), tout autant que l’ambition globale portée par cette narration.
💠 Mythes
Le mythe est une “construction de l’esprit, fruit de l’imagination, n’ayant aucun lien avec la réalité, mais qui donne confiance et incite à l’action. Expression allégorique d’une idée abstraite; exposition d’une théorie, d’une doctrine sous une forme imagée.” (CNRTL). Le mythe est originellement entendu en tant qu’histoire fausse, invention, fiction voire mythologie. Le mythologue Mircea Eliade, dans son ouvrage Aspects du mythe (1995) bouleverse cette vision en affirmant que “la révélation primordiale d’une culture est son mythe”. Celui-ci “fournit des modèles de comportements, un sens au monde et une valeur à l’existence. Il raconte une histoire sacrée qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des commencements. Le mythe nous concerne personnellement et le temps sacré peut être réactualisé par des rites appropriés. Toute histoire mythique présuppose et prolonge la cosmogonie.” Il appuie son étude sur les mythes de “peuples des 4 continents” (Aborigène Aruntas, Tibétains, Navajo, Pawnees, Hawaïens, Santali, Polynésiens,…) dans une démarche ethnographique. Il poursuit par l’évocation de la production constante de mythes modernes : le bon sauvage (Montaigne, Diderot, Rousseau…), la quête de l’Eldorado (et ses réalités mises en évidence par l’historien américain Howard Zinn), l’automobile, le grand jour des Communistes, Hollywood, l’artiste maudit, le roman policier, la marque à la pomme…
💠 Imaginaires
L'imaginaire peut être entendu comme “œuvre, domaine, monde de l’imagination. [dans la théorie de Jean-Paul Sartre] Domaine de l’imagination, posé comme intentionnalité de la conscience. [selon le psychanaliste Jacques Lacan] Registre essentiel du champ psychanalytique, caractérisé par la prévalence de la relation à l’image du semblable” (CNRTL). L’imaginaire qualifie bien ainsi le dialogue entre réel et symbolique.
La sémiologie au service du récit
Plutôt qu’une langue (définie comme “convention sociale”) le récit est un langage. Souvenons-nous des cours du linguiste Ferdinand de Saussure, qui détermine la chaîne sémiologique du langage entre un signifiant (image acoustique) et un signifié (concept, symbole), formant ainsi un signe. Le récit opère de même, comme un langage, en organisant un dialogue entre le terme et une quantité de symboles qui gravitent autour. Certain·es l’ont bien compris, qui inventent de nouveaux signes afin d’y charroyer (sans avoir à le dire vraiment), toute la puissance symbolique de ce qu’ils ou elles cherchent à nous vendre (sans trop savoir quoi exactement).
Certains récits peuvent ainsi être créés de toutes pièces afin de revendiquer cette chaîne symbolique, par leur nature même. Ces signes creux jouent avec les symboles afin de susciter du désir et non un futur désirable. Il s’agirait simplement de mobiliser acronymes, anglicismes ou oxymores pour concentrer les affects et créer aussitôt de nouveaux besoins sans avoir à en expliciter véritablement ni le contenu ni le sens : web 3
, développement durable
, croissance verte
, fracture numérique
, intelligence artificielle
… Ces récits, souvent présentés comme autant de solutions, consolident une certaine rhétorique et nous font passer à côté des objectifs fondamentaux des transitions que nous devons porter.
🧭 L’Abécédaire des savoirs critiques ↗ (Kôdo + La Savante et le Politique + Le Club Mediapart) | Coll. (Genette, Greimas, Barthes, Eco, Todorov…) Recherches sémiologiques : l'analyse structurale du récit ↗ , 1966
Le théâtre au service du récit
« Pour moi, seul le théâtre peut permettre d’explorer la gamme des passions correspondant aux enjeux politiques contemporains. Si les questions écologiques par leur ampleur, leur ubiquité, leur durée, sont au sens propre irreprésentables, alors c’est aux œuvres d’art (qui sont toujours aussi des œuvres de pensée) d’essayer de les présenter à nouveau aux sens. » Bruno Latour
Le théâtre est en effet particulièrement intéressant à étudier pour comprendre les mécanismes de transformation des discours en action. Aristote nous rappelaient déjà le passage du récit (diègèsis) à la “représentation directe des événements par des acteurs parlant et agissant devant le public”, deux modes de l’imitation (mimèsis). Platon précise que le récit est ce qui est raconté “en leurs propres noms” par les personnages agissants, au contraire de l’imitation [du réel] qui crée l’illusion d’une action et maintient le spectateur dans cette dépendance. Si la vérité du théâtre repose sur l’illusion, c’est par le jeu des acteurs et la représentation en elle-même que nous nous projetons dans leurs actions. Cette représentation nous transporte, nous inspire, comme si nous avions affaire à une réalité vécue, même si nous ne sommes pas (encore) dans l’action, et nous conduit à nous identifier aux personnages et au récit en lui-même. A l’inverse, nous pourrions dire aujourd’hui que certains discours, basés exclusivement sur la puissance de l’illusion, paralysent l’action en déclamant & préemptant volontairement les récits.
🧭 Bruno Latour, Gaia Global Circus ↗ , 2010 | Paul Ricœur : « le récit est comme un laboratoire de l’agir humain ↗ »
Philosopher & agir
« Il faut continuer à philosopher car, si nous simplifions les choses, nous allons râter la bifurcation dont nous avons besoin. Il est temps [parallèlement à l’action] de penser et de complexifier encore la donne. » Baptiste Morizot (2023)
|=> De la nécessité tout d’abord de constater, de prendre connaissance des faits scientifiques, d’actualiser les sources, de se nourrir des savoirs fondamentaux en lien avec les transitions climatiques. En cela, de plus en plus de journalistes et de scientifiques s’engagent au quotidien pour documenter & apporter du fond.
|=> De la nécessité ensuite de “défaire le privilège”, comme l’invite l’écoféministe Starhawk, afin de développer une clairvoyance globale des sujets. Elle propose ainsi un programme en 10 étapes pour décentrer nos points de vue et adopter une approche critique lucide & inclusive :
- Prendre conscience du privilège, en déconstruisant les récits dominants & ses propres récits
- Faire la distinction entre privilège & identité
- Apprendre à connaître son héritage, en interrogeant les cultures autochtones, en explorant les marges, les limites, les friches (…) et en questionnant les modèles résilients pour leur potentiel de créativité & d’adaptation
- Apprendre des autres, en approfondissant ses connaissances, en densifiant le maillage cartographique des connaissances, en passant de la “pensée complexe” (Edgar Morin) ou de la “combinatoire” (Michel Serres) à l’ouverture, la reproductibilité, la sédimentation, la pollinisation…
- Se poser la question “qui est le ou la protagoniste de l’histoire ?”, en interrogeant les modèles économiques & politiques sous-jacents
- Être utile (n’est-ce pas là le propre du service public ?)
- Gagner patiemment la confiance
- Écouter
- Se pencher sur les normes & les valeurs de notre propre groupe
- S’engager auprès des enfants
|=> De la nécessité enfin de développer, sur la base notamment du 4e point de Starhawk, une vision holistique & critique des sujets de transitions afin d'"augmenter le problème" (comme dirait la philosophe de la pensée féministe, Geneviève Fraisse), de “ne pas épaissir le mensonge universel” (Camus) et lutter contre le climatoscepticisme ou la désinformation.
🧭 Starhawk, Comment s'organiser ? Manuel pour l'action collective ↗ , éditions Cambourakis, 2021 | Etienne Klein, Le Goût du vrai ↗ , Gallimard, Tract, 2020
Nouveaux récits, vraiment ?
Ainsi, différentes options s’offrent alors à nous qui souhaitons mobiliser les récits au service d’un futur désirable :
- construire à partir d’une page blanche, inventer et construire en soi un nouveau récit tout frais, chacun·e au sein de collectifs engagés mais dispersés et non connectés
- contribuer à un récit unique, commun à tou·tes, qui préexisterait, qui serait “humaniste” et “universel”, avec toutes les dérives discriminatoires et violentes que l’on peut imaginer…
- changer de récit, affronter la “crise du récit” en changeant fondamentalement de postulats, en décentrant & déconstruisant les phénomènes, en réagenceant les paradigmes
- s’allier à un collectif qui fait récit commun par la pratique, contribuer à un réseau d’acteur·rices qui font les transitions à leurs échelles, suscitent l’action et engagent les coopérations, même très modestement, et selon une méthodologie reproductible
|=> C’est le dialogue entre les conditions en biens communs et les actions concrètes qui contribuera à consolider une direction plutôt qu’une autre, un récit plutôt qu’un autre : c’est bien de cela dont il est question lorsque l’on parle de bifurcation.
J’ai personnellement choisi de ne pas envisager les pistes 1 & 2, pour explorer pleinement les pistes 3 & 4.
🧭 Lire mon précédent billet sur les (biens) communs, le numérique & la culture ↗
— Quelles contributions pour les métiers de la communication ?
Au mitan de ces transformations, les métiers de la communication ont un rôle essentiel à jouer. Leurs expertises liées au langage, aux messages, aux discours, aux narrations plurimédias, à la maîtrise des informations ou à leur diffusion, mais aussi à la mesure de leurs actions (…), leur confère une responsabilité importante dans ce processus. Il s’agit de questionner & de prendre la parole au service de l’holistique, d’une vision globale.
🧭 Paloma Moritz, Lutte contre le dérèglement climatique: « Il faut réinventer nos imaginaires. C’est aussi le rôle des médias » ↗ , Libération, février 2023 | NOWU ↗ (prononcer “Now You” = “à toi maintenant”), “le média multiformats positif sur l’environnement” à destination des moins de 25 ans, lancé par FranceTV en 2021 et qui propose des articles orientés solutions, “bonnes nouvelles”, critique de pratiques et engagement au quotidien.
Principaux enjeux
Quels enjeux pour l’engagement des métiers de la communication en faveur des récits sur les transitions environnementales ?
|=> Le premier enjeu, le plus évident, vise à lutter contre toute forme de propagande ou de manipulation. La mobilisation de leurs expertises à des fins de construction de signes creux et de faux imaginaires visant à détourner la réalité, à créer l’illusion, a pu ternir de longue date l’image des communicant·es. Nous entrons dans une ère où, face aux pressions exponentielles des enjeux climatiques & de la mobilisation des peuples, les entreprises qui se battent pour maintenir les modèles dominants & basés sur les énergies fossiles, affichent haut et fort des labels verts sur des SUV ou une nature sauvage pour des croisières sur des immeubles flottants. Nul doute qu’elles déploieront un effort sans cesse plus grand pour détourner les récits à leurs bénéfices. Le green washing, pilier d’un “marketing durable” ou d’un “marché publicitaire vert”, commence à peine à transformer nos paysages médiatiques.
|=> Le deuxième enjeu repose sur la transparence, la qualification de la méthodologie & de la démarche scientifique. Les transitions, reposant en effet sur une dynamique constructive et non des solutions définitives sur étagères, sont par essence relatives : elles s’appuient sur une expérimentation par essais-erreurs, sur une progression, sur des tentatives. On se rend compte dans les faits que, quel que soit le message, quelle que soit l’action soutenue, on viendra tôt ou tard percuter voire décrédibiliser ces récits. Si l’on souhaite éviter d’être accusé de manque de fiabilité ou de nourrir des discours de désinformation, il est donc indispensable d’étayer la démarche & la méthodologie de manière extrêmement précise : données utilisées, référentiels utilisés ou nourris, modes de relations, choix & consensus, renoncements… Que ce soit pour un projet ou une communication. Somme toute un travail assez classique pour le journalisme, mais qui se doit d’étayer au maximum l’approche scientifique.
|=> Le troisième enjeu porte sur la lutte contre les modèles de discrimination & de domination. Les périodes de grandes transitions entraînent parfois une recrudescence de discours véhéments, violents et ostracisants. Il devient primordial, aujourd’hui plus que jamais, de lutter contre toute forme d’ignorance, de prendre un soin particulier à ce que les récits produits soient réellement accessibles à tou·tes, mobilisables, réappropriables et capacitants. L’approche pluriculturelle ouverte & décentrée ainsi que la visibilité & la prise de parole des diversités devient également un préalable indispensable sur lequel il s’agit de veiller singulièrement. Dans ce contexte, il s’agit d’être particulièrement didactique, de clarifier au maximum les termes utilisés afin de nous assurer que nous ne convoquons pas des imaginaires toxiques.
Les travaux de l’ADEME sur la communication responsable
Afin de mettre en pratique ces enjeux, j’évoquerai tout d’abord en quelques lignes le formidable travail de l’ADEME sur la communication responsable, dont je vous recommande chaudement la lecture et qui mériterait d’être placé dans le domaine public et diffusé gratuitement. L’incise de Erwan Lecoeur, “les communicants publics peuvent contribuer à proposer un récit collectif mobilisateur” (p.204) est une excellente mise en bouche. De même l’entretien avec la sémiolinguiste Elodie Laye-Mielczareck (p.110) autour du langage est tout à fait passionnante. C’est surtout la 3e partie de l’ouvrage qui est plus directement consacrée à “lutter contre le greenwashing” (p.243-270) et “promouvoir de nouveaux récits et des contenus plus responsables” (p.271-290). On y lira notamment :
- Un nouveau métier : chargé de mission Récit territorial
- La bataille des imaginaires a déjà commencé (Sandy Arzur)
- Participer à l’émergence de nouveaux imaginaires
- La mise en récit pour faciliter les projets de transition (Emmanuel Bertin)
- Lutter contre les stéréotypes et promouvoir des modes de vie soutenables
- Le sexisme dans la pub
- Un guide sur les stéréotypes des modes de vie
- Ce que cache la publicité pour la viande
- Lutte contre les stéréotypes : comment promouvoir des modes de vie plus soutenables ? (Khaled Gaiji)
- 10 conseils pour mieux communiquer sur le dérèglement climatique (Thierry Libaert)
- La conception et la diffusion de contenus plus responsables
- Un code de déontologie des professionnels du contenu
- Un “média” mêlant journalisme et publicité
- Une charte de la relation influenceurs
- Pour des relations saines et fructueuses avec son écosystème (Benoît Désveaux)
- Les grands enjeux en matière d’accessibilité et d’inclusion (Pascal Parsat)
- Trois questions à Valérie Zoydo
Cette approche en construction propose une dynamique entre les messages que nous portons et notre savoir-faire pour les construire.
🧭 Mathieu Jahnich, Valérie Martin & Thierry Libaert, Le Guide de la communication responsable ↗ , ADEME éditions, nouvelle édition enrichie, coll. “Clés pour agir” n°011190, octobre 2022
Quelques pistes complémentaires
Au sujet précisément des récits nous pouvons distinguer le fait de :
- Communiquer sur les thématiques, les sujets, les projets en lien avec les changements climatiques : diffuser des imaginaires au service d’un intérêt, faire comprendre les informations, les données, étayer les faits, …
- Écrire / contribuer activement à des récits, en construisant de nouveaux imaginaires collectifs, de nouvelles utopies, au travers des formats & canaux à notre disposition.
- Accompagner & faciliter la consolidation de ces récits, dans une démarche de neutralité, renforcer la transmission & la pédagogie sur les meilleures informations.
Il ne s’agit ainsi pas seulement de nous demander comment parler des transitions dans nos communications, ni comment engager les transitions dans nos métiers de communicant·es mais bien de nous poser collectivement la question de nos responsabilités dans la construction d’un récit collectif & des conditions de sa mise en action pour le bien commun (ou bien de la responsabilité de nos actions comme humus d’un récit commun).
Quelles conditions semblent alors nécessaires à la réussite de ces engagements ?
> DOCUMENTER LE RÉEL
Rester en veille, s’inspirer & réemployer les documentations (de plus en plus nombreuses) sur les réalités de la crise. Et infuser ces éléments dans sa méthode comme dans son discours de communication. C’est probablement une étape aussi indispensable qu’éprouvante : ne pas négliger de prendre soin de sa santé mentale, gérer la surexposition comme on se préserve du plein soleil.
« La solastalgie est un mal du pays sans exil. » Baptiste Morizot
Se nourrir, donc :
- des apports scientifiques, documentations sur les mécanismes liés aux changements climatiques ou aux soubassements comme autant de formes qui étayent les récits : rapports & interventions de Jean-Marc Jancovici, œuvres de Vladan Joler, ouvrages de Guillaume Pitron ou de Malcolm Ferdinand…
🧭 Jean-Marc Jancovici ↗ | Vladan Joler, New Extractivism ↗ , 2020 | Guillaume Pitron, La Guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique & numérique ↗ | Malcolm Ferdinand, Une écologie décoloniale. Penser l'écologie depuis le monde caribéen ↗ , 2019
- des documentations sur l’effondrement, la catastrophe annoncée, reposant principalement sur la métaphore architecturale de la ruine : Rapport Meadows sur l’épuisement des ressources, le roman “Dans la forêt” de Jean Hegland, les ouvrages de collapsologie de Pablo Servigne…
🧭 Rapport Meadows : les limites de la croissance ↗ , 1972 | Jean Hegland, Dans la forêt ↗ , 1996 | Pablo Servigne, Comment tout peut s'effondrer : petit manuel de collapsologie à l'usage des générations présentes ↗
- des rapports du GIEC, publications du Shift Project, états des lieux & consensus scientifiques sur le climat et la biodiversité…
🧭 Rapports du GIEC ↗ | Publications du Shift Project ↗ | Rapports sur les actions climatiques de l'ONU ↗ | Dossiers de France Nature Environnement ↗ | Rapports d'OXFAM France ↗
- de l’immense travail de scientifiques, chercheur·euses & de journalistes qui documentent sur les féminicides, écocides, génocides, violences policières ou économiques, technologies de surveillance, discours & mouvements d’extrême droite…
🧭 François Cusset, La haine de l'émancipation : debout la jeunesse du monde ↗ , 2023 | Les enquêtes de StreetPress ↗ | Les dossiers de La Quadrature du Net ↗ | Les émissions du média indépendant Blast ↗ | Les podcasts de Spectre ↗ | La série 'Adaptation' ↗ , Le Monde, juin 2023
- des données sur les niveaux de pollution, de particules, encapacités par des capteurs citoyens…
🧭 NASA Global Climate Change ↗ | IPCC Data : les données du GIEC ↗ | Copernicus : programme d’observation de la Terre de l’Union européenne ↗ | Luftdaten Sensor.community ↗ | Données & indicateurs de l'eau, OCDE ↗ | Données européennes sur la biodiversité ↗ | Données marines de l'IFREMER ↗
- des plans nationaux successifs, majoritairement orientés vers les problématiques de la pollution, du carbone et des énergies. Ouvrir sur d’autres indicateurs & modèles : eau, biodiversité, ressources abiotiques, niveau de bonheur social…
🧭 Transitions climatiques : stratégies et objectifs ↗
> DÉVELOPPER UNE APPROCHE TECHNOCRITIQUE & ÉCOCRITIQUE
Cette approche critique permet d’augmenter notre puissance d’action (notre capacité à pouvoir agir) et surtout de nous libérer de la peur servile & paralysante qui peut nous étreindre à la lecture — en continu — des documentations du réel.
La technocritique consiste à déconstruire les technologies émergentes en adoptant une démarche de recherche & d’analyse approfondie des mécanismes sous-jacents et de leurs conséquences. L’idée étant de ne pas considérer les technologies comme solution merveilleuse aux maux de la société (les technos sont régulièrement remplacées par de nouvelles, réinvestissant sans cesse les mêmes imaginaires…), mais plutôt de réinterroger leur usage précisément là où elles permettent véritablement d’améliorer les liens sociaux.
« Le bluff technologique — ce discours séducteur justifiant l’expansion illimitée de l’empire technicien et qui nous plonge, avec notre consentement, dans un univers de diversion & d’illusion — fait de nous des automates obéissants. » Jacques Ellul
L’écocritique, “vaste champ de recherche transdisciplinaire qui interroge les relations entre l’homme et l’environnement” (Julien Defraeye & Élise Lepage), œuvre dans le champ des “humanités environnementales” et aurait donné naissance à l’écoféminisme, aux études animales, postcoloniales ou autochtones. Elle affirme [par exemple] que “le sens des textes ne peut s’élucider sans prendre en compte leur vision des relations entre l’homme et l’écosystème, l’humain et le non-humain” (Yves-Charles Grandjeat).
« De la même façon que la critique féministe aborde la littérature et la langue à partir d’une perspective genrée, […] l’écocritique ouvre les études littéraires à une perspective centrée sur la terre » Cheryll Glotfelty
🧭 Hubert Guillaud, Des enjeux de la technocritique ↗ , InternetActu, 2019 | Le blog d'Hubert Guillaud ↗ | Humanités environnementales / Chapitre 7. Écocritique : vers une nouvelle analyse du réel, du vivant et du non-humain dans le texte littéraire ↗ , éditions de la Sorbonne, 2017
> GARANTIR LA TRANSPARENCE & STIMULER LA CAPACITATION
Etayer l’intention de communication avec des faits sourcés, documentés & référencés, et renvoyer systématiquement à un modèle holistique & profond. Poser les conditions d’un service public en biens communs au travers de la diffusion, de l’ouverture, de la clarification, de la définition, de l’accessibilité & de l’inclusion…
« Le travail [des médias] détermine la compréhension des enjeux climatiques par les citoyens, mais également leur volonté à agir. », Paloma Moritz
> QUESTIONNER LES MODÈLES ÉCONOMIQUES
Afin de ne pas suivre les tendances sous le prétexte qu’elles sont incontournables, prendre le temps d’évaluer les phénomènes à l’aune des modèles économiques avant de les mobiliser. Les transitions reposent particulièrement sur le renoncement de la course effrénée à l’audience ou à la performance (ce qui ne signifie pas renoncer à la valeur), en basant les actions & outils de communication sur les usages et la recherche des compromis vertueux.
J’espère que ces quelques pistes vous donneront envie de poursuivre sur la seconde partie de l’article (en cours de publication) ==> “Typologies de récits pour un futur désirable”, sorte d’ouvroir d’inspirations potentielles
␥ Pour aller + loin
- [PROCHAINEMENT] Typologies de récits pour un futur désirable
- Définition des communs selon Silvia Federici [PDF 3,5Mo] ↗
- Transitions climatiques : stratégies et objectifs ↗
- Les (biens) communs, le numérique & la culture ↗
Permalien
https://grouan.fr/2023/05/05/quels-imaginaires-recits-pour-les-transitions-climatiques-1/