Engagé récemment sur le chemin qui mène à la certification Creative Commons, j’ai décidé de vous partager mon carnet de bord, au fur et à mesure des unités de formation suivies. Ce premier article traite des fondements de cette institution incontournable dans le monde des cultures libres et ouvertes. N’hésitez pas à me faire part de vos commentaires : je me ferai un plaisir comme toujours de partager plus largement mes apprentissages & ressources à ce sujet.


Au commencement était le libre

Le début des années 80 a vu éclore les grandes entreprises qui ont bâti le web (lui-même officiellement fondé en 1989 au CERN par Tim Berners-Lee). A cette époque, le numérique était libre et ce nouveau marché émergent a commencé à apposer des droits propriétaires aux logiciels et aux matériels. En 1983, Richard Stallman ↗ , alors informaticien au Massachusset Institute of Technology (MIT), lance l’initiative du projet GNU ↗ , kernel d’un système d’exploitation ouvert, associé dans les années 90 à Linus Torvalds pour la création de GNU/Linux. Afin de définir et de garantir les modalités d’ouverture des logiciels libres (Free and Open Source Softwares), il crée dans la foulée la toute première licence libre de l’histoire : la GNU General Public License (GNU GPL) ↗ . Elle embarque notamment un élément juridique de premier ordre, encore extrêmement puissant de nos jours : le copyleft (ou “gauche d’auteur”), qui verrouille les adaptations ultérieures selon les mêmes conditions que le logiciel d’origine.

« Les libertés cruciales qui définissent un “logiciel libre” sont garanties à quiconque en détient une copie ; elles deviennent des droits inaliénables. » Richard Stallman

📚 Qu'est-ce que le copyleft ? ↗ , GNU / Free Software Foundation

Prolongation de la durée du droit d’auteur aux États-Unis

En 1998, une loi porte un coup fort à la législation sur le droit d’auteur instituée aux États-Unis depuis 1976 : la Loi Sonny Bono sur la prolongation de la durée du droit d'auteur ↗ (Sonny Bono Copyright Term Extension Act / CTEA) [source: Wikipedia]. Cette loi prolonge de 20 ans la durée du droit d’auteur des œuvres aux États-Unis, à savoir :

  • pour un individu → la durée de vie du créateur + 70 ans
  • pour une entreprise → pendant 120 ans après la création ou 95 ans après la publication (selon ce qui se produit en premier)

Par comparaison, actuellement en France les droits patrimoniaux “persistent au bénéfice de ses ayants droit pendant l’année civile en cours et les soixante-dix années qui suivent” [source: Code de la propriété intellectuelle]. Ce n’est qu’après cette longue période que l’œuvre entre dans le domaine public ↗ . Le CTEA a ainsi eu pour conséquence d’empêcher de nombreuses œuvres d’entrer dans le domaine public.

Pour l’anecdote, c’est parce que l’entreprise Disney a engagé un intense lobbying dans les années 90 afin de protéger les droits d’auteur sur le personnage de Mickey Mouse (Steamboat Willie était sur le point d’entrer dans le domaine public…), que leur durée a été prolongée.

📚 Code de la propriété intellectuelle - Chapitre III - Durée de la protection) ↗

📚 Le Domaine public ↗ , In Propriété intellectuelle / Géopolitique & mondialisation, CNRS Editions, 2013, p.37-54 [OpenEdition Books]

Entrée en scène de Lawrence Lessig

Lawrence_Lessig Lawrence Lessig adressant la conférence de clôture autour des cultures libres à Stanford | Joi Ito CC BY 2.0

Lawrence Lessig, professeur de droit à Stanford, représentait alors un éditeur Internet nommé Eric Eldred, qui faisait carrière en mettant à disposition les œuvres entrant dans le domaine public. Ils se sont unis, avec de nombreux soutiens (dont la Free Software Foundation ou la College Art Association), contre le gouvernement américain. Afin de contester la constitutionnalité de cette loi, l’affaire connue sous le nom de Eldred VS Ashcroft a été portée jusqu’à la Cours Suprême des États-Unis.

Le passage des œuvres dans le domaine public est important car il permet à chacun·e de puiser sans condition ni autorisation dans un creuset universel de connaissances & de créativité.

Au final, Eric Eldred et Lawrence Lessig ont été déboutés.

📚 Tout savoir sur l’affaire Eldred VS Ashcroft ↗ [source: Wikipedia]

Militants des cultures libres

Aaron Swartz Aaron Swartz (âgé de 16 ans) et Lawrence Lessig à la fête d'inauguration de Creative Commons en décembre 2002 | Gohsuke Takama CC BY 2.0

Durant cette même période particulièrement foisonnante, il n’est pas envisageable de raconter la naissance de Creative Commons sans évoquer Aaron Swartz. Il a été, malgré son très jeune âge (16 ans à peine en 2002), l’un des premiers architectes de Creative Commons aux côtés de Lawrence Lessig. Développeur de génie, hackeur de la première heure et chantre de l’Open Access, il s’inscrit dans un fervent militantisme en faveur des cultures libres. Il est notamment reconnu pour avoir fondé l’Internet Archive Open Library ↗ , bibliothèque numérique de livres gratuits ouverte à tous·tes, le réseau social Reddit ↗ (utilisé aujourd’hui par près 1,7 milliards d’utilisateurs actifs chaque mois), participé au lancement de Wikipédia ↗ , Wikileaks ↗ , contribué au réseau Tor ↗ , aidé au développement du web sémantique ou du flux RSS…

Aaron Swartz participe notamment à la campagne visant à empêcher l’adoption du Stop Online Piracy Act (SOPA), loi instituée par le Congrès américain pour lutter contre les violations du droit d’auteur sur Internet.

Son affrontement avec le gouvernement américain a connu la fin tragique que l'on connaît ↗ . En 2010, alors chercheur à l’université de Harvard, il est interpellé par la justice. Après avoir téléchargé une grande quantité d’articles de revues universitaires via le réseau informatique du MIT. Il souhaitait créer un campus ouvert à tous·tes pour leur permettre d’accéder aux documents ainsi libérés.

📚 Open Library ↗ de nos jours [source: Internet Archive]

Fondation de Creative Commons

Stanford Law School Stanford Law School, mai 2022 | Suiren2022 [Wikimedia Commons] CC BY-SA 4.0

Lawrence Lessig, Eric Eldred et leurs partenaires ont ainsi créé le 15 janvier 2001, à la Stanford Law School, une organisation à but non lucratif appelée Creative Commons. Dès le 16 décembre 2002, ils ont publié les licences Creative Commons (CCL v 1.0). Leur objectif premier visait à offrir un cadre légal à celles et ceux, partout dans le monde, qui souhaitent céder ou libérer leurs œuvres des droits d’auteur·rice & de propriété intellectuelle. C’est cette tension entre partage de créativité et droits d’auteur que Creative Commons tente de résoudre.

« Une culture libre a été notre passé, mais elle ne sera notre avenir que si nous changeons la voie sur laquelle nous sommes actuellement engagés » Lawrence Lessig

Ce qu’est Creative Commons

🏛 1 organisation internationale à but non lucratif, de taille modeste, étayée par une organisation distribuée dans le monde entier

« Nous plaidons en faveur d’un meilleur partage : un partage contextuel, inclusif, juste, équitable, réciproque et durable. » Creative Commons

🔓 une boîte à outils de 6 licences modulables, publiques et gratuites qui permettent aux créateurs de définir les conditions (“quelques droits réservés”) selon lesquelles ils libèrent leurs œuvres du strict droit d’auteur (“tous droits réservés”). Les icônes, évoquant les conditions d’usage clairement identifiables et facilement communicables, ont beaucoup aidé à leur développement. Elles proposent :

  • 1 outil du domaine public (CC0) : créé en mars 2009, il permet de libérer aux modalités du domaine public, soit le mode le plus ouvert possible, sans conditions
  • 2 licences libres & ouvertes (“open licenses” : CC BY, CC BY-SA)
  • et 4 licences restrictives qui permettent de combiner les droits selon le niveau de liberté souhaité par les créateur·ices.

Les licences CC sont un moyen facile pour les créateur·ices qui veulent partager leurs œuvres de manière compatible avec la loi de leur pays sur le droit d’auteur.

🤝 1 communauté de valeurs partagées, un mouvement collectif visant à favoriser le développement des cultures libres et à développer la capacité d’agir

Correctif: Merci à Revekka Kefalea (facilitatrice certification CC) pour les clarifications & ajustements relatifs au CC0 et aux licences libres & ouvertes | 08/10/2023

📚 Qui nous sommes ? ↗ [source: Creative Commons]

📚 Partagez vos œuvres : choisissez votre licence ↗ [source: Creative Commons]

Ce que permettent les licences Creative Commons

The more we share The More We Share, The More We Have (series 1/2) | Pietro Soldi CC BY-NC-SA 4.0

Les fondateurs de Creative Commons souhaitaient initialement modifier la loi américaine sur le droit d’auteur. Mais la dimension restrictive des lois sur le droit d’auteur a pu représenter une forme d’enclosure aux communs & cultures partagés. Le développement du web et des technologies numériques ont tracé de nouvelles voies pour les communautés de coopération de pratiques et de partage de connaissances.

Les licences permettent d’offrir un cadre légal actualisé (la version 4.0 date de 2013), mais aussi de développer le potentiel reproductif des communs de la connaissance, de la culture & de l’information. De fait, elles permettent d’encourager les communautés de partage & d’engagement et d’offrir une alternative aux modèles économiques, financiers et propriétaires. En France, des initiatives sont déjà portées par de grandes institutions telles que le Ministère de la Culture ou la SACEM…

📚 Ecouter Oslodum, de Gilberto Gil ↗ , sous licence CC Sampling Plus 1.0 ↗ (aujourd’hui obsolète)

Et aujourd’hui…

En 2003, déjà 1 million d’œuvres étaient estampillées CC. Aujourd’hui, c’est 2,5 milliards de contenus qui sont partagés sous licences Creative Commons dans le monde, en 44 langues ! La stratégie développée repose sur 3 piliers : porter la parole des cultures libres pour “remodeler l’écosystème ouvert”, améliorer les plateformes ouvertes et renforcer les capacités des publics.

Les domaines d’intervention sont extrêmement variés : Open Culture ↗ , Open Climate, Open Science ↗ , Open Education ↗ , Open Journalism ↗

De même, elles présentent une grande variété d’usages : photographie, vidéos, audio & podcasts, textes littéraires, bandes dessinées, articles scientifiques, ressources pédagogiques, … Etayée qui plus est par de grandes plateformes de contenus telles que Flickr, YouTube, Europeana ↗ (plateforme du patrimoine culturel numérique européen) ou Wikimedia ↗ (plateforme de contenus éducatifs gratuits du monde entier)…

📚 State of the Commons 2022 ↗ [source: Creative Commons]

Chacun·e peut jouer son rôle

Comment contribuer à ce grand mouvement pour un futur plus ouvert ?

  • coopérer avec les communautés du CC Global Network ↗ , vaste agora de 700 membres, au sein de laquelle vous pourrez organiser des événements, mettre en place des ateliers de sensibilisation, faire connaître Creative Commons sur le web & les médias sociaux,
  • utiliser ou aider à construire un projet de développement technologique ouvert : CC Chooser, Wordpress Plugin…
  • utiliser les outils de recherches CC : CC Search ↗
  • utiliser le module de choix de licence ↗ & intégrer les licences CC sur vos contenus & ressources
  • suivre une certification ↗ , comme celle auquel je m’affaire actuellement autour des Cultures ouvertes & des GLAM (Galleries, Libraries, Archives, Museums : “Bibliothèques, archives & musées”)

Communs & Open GLAM

Brooklyn Museum of Art The Brooklyn Museum of Art, New York City | Raffi Asdourian CC BY 2.0

Le philosophe français Bernard Stiegler déclarait que les logiciels et licences libres représentent “une nouvelle matrice économique d’organisation du travail, qui crée une valeur d’un nouveau type, […] porteur de transformation”. Ces transformations sont au cœur de la redécouverte des communs à l’ère des technologies numériques. Silvia Federici, chercheuse et professeure à l’Université Hofstra à New York, évoque la question des communs autochtones et des démarches d’ouverture & de coopération selon 8 critères (dans son ouvrage Réenchanter le monde ↗ ) qui permettent d’élargir les définitions portées depuis l’économiste Elinor Olstrom.

Le mouvement de l'OpenGLAM, initié au Brooklyn Museum of Art, s’inscrit dans cette dynamique et vise à ouvrir & partager le patrimoine culturel. Les collections patrimoniales gagnent à libérer leurs fonds numérisés, tel le Musée de Bretagne ↗ qui fut précurseur en France, afin que ces ressources deviennent un véritable bien public accessible à tous·tes.

Plus largement, au-delà de la valorisation des collections patrimoniales, l'Open Content notamment au sein des GLAM permet d’élargir l’ouverture et le partage à l’ensemble des contenus et ressources multimédias (co)produites. Une vision holistique de l’ouverture renforce encore davantage la dynamique des services publics en biens communs.

📚 Les biens communs, le numérique et la culture ↗

📚 Le réseau OpenGLAM ↗

… à suivre …


␥ Pour aller + loin

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icone Creative Commons Qu'est-ce que Creative Commons ? — Carnet de bord CC-Cert 1/.

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« Qu'est-ce que Creative Commons ? — Carnet de bord CC-Cert 1/., Guillaume Rouan, CC BY-SA 4.0 »
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